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« Bonjour, madame ! » sur le couvercle d’un miroir : nouvelle inscription grecque d’Ilişua sur instrumentum Dan DANA Mots-clé : épigraphie grecque, époque romaine, instrumentum inscriptum, miroir, Ilișua. 1. Identiication de la pièce et interprétation de l’inscription Une petite pièce de métal1 a été trouvée en 1989, lors des fouilles dans la pièce y du praetorium, à une profondeur de 120 cm, dans le niveau du petit camp (première phase du bâtiment) d’Ilişua (ig. 1) ; ce niveau n’a pas livré d’autres objets dignes d’être signalés. Il s’agit d’un disque en bronze, dont un petit morceau supérieur est perdu ; les bords sont légèrement endommagés (ig. 2, 3, 4). Dimensions : diamètre 2,55 cm ; épaisseur : 0,18 cm ; poids : 5,5 gr. Musée Départemental de Bistriţa, n° inv. 24610. Après la restauration, la pièce a été recouverte d’un verni, d’où l’aspect actuel (cf. ig. 4). Le disque a un rebord légèrement saillant. Un ilet médian qui n’est pas rectiligne traverse le disque : dans la partie supérieure sont igurés, en relief, deux volatiles, disposés face à face, de manière symétrique, à la manière héraldique, alors que la partie inférieure est occupée par le champ épigraphique. Quelques globules sont symétriquement disposées autour et entre les deux oiseaux, ainsi qu’en-dessous du ilet médian. La pièce a été coulée dans un moule en argile (cf. les photos des deux faces, et notamment du revers, qui est légèrement bombé : ig. 3) ; au milieu du revers, on aperçoit des égratignures qui dessinent très nettement une forme triangulaire. Ce sont les indices d’une production de série – faute d’orthographe comprise ! –, destinée à des femmes (voir le commentaire ci-dessous). Dans la moitié inférieure de la pièce on distingue, en relief, deux lignes d’inscription en grec, parfaitement centrées (ht. des letres : 0,3-0,4 cm). Les letres, assez soigneusement proilées, sont ornées d’apices ; epsilon lunaire. La lecture est la suivante (ig. 5) : ΚΥΡΕΙΑ ΧΕΡΕ donc Κυρεία, χρε. « Madame, salut/bonjour ! ». On reconnaît aussitôt un vocatif Κυρεία ‒ le mot est par ailleurs écrit avec un iotacisme, phénomène banal à cete époque ‒, suivi d’une formule de salut. Quant au deuxième mot, l’artisan a écrit χρε pour χαῖρε, graphie fautive qui témoigne de la prononciation (voir infra pour les transcriptions latines du même mot grec). 1 Je remercie vivement Corneliu Gaiu, l’inventeur de la pièce, pour la permission de la publier et pour tous les renseigneements complémentaires oferts, ainsi que pour les illustrations mises à disposition. Je remercie également mes collègues Antony Hostein et Elsa Rocca (Paris) pour leurs suggestions. Dan DANA, CNRS/ANHIMA (Paris), e-mail: ddana_ddan@yahoo.com Revista Bistriței 113 XXIX/2015, pp. 113-122 Trois possibilités d’interprétation s’ofraient a priori. Il convient d’écarter rapidement la première, celle d’un nom de femme, Κυρία, qui est assez rare (LGPN IV 204 et V.B 251). La deuxième possibilité serait celle d’une invocation de la protection divine, par l’appellatif d’une déesse ‒ dont l’identité ne serait précisée ni par son nom ni par une autre épithète ‒, suivi du salut en grec (= lat. ave). Si le terme générique Κυρία est assez courant pour honorer les pouvoirs d’une divinité, ce type de formulation reste très rare. Ainsi, une déesse infernale (Korè/Perséphone plutôt que Déméter) est invoquée par l’appellatif Κυρεία sur une deixio de Centuripae (Sicile)2, et en latin par le même appellatif, Cyria, sur une deixio d’Auzia (Maurétanie Césarienne)3. Cete explication est elle-aussi à écarter, car elle impliquerait en outre un contexte funéraire ou de malédiction, qui ne s’accorde pas avec l’objet inscrit. Enin, la troisième possibilité est la bonne, et elle est conirmée par plusieurs exemples. On trouve en efet cete formule, qui semble avoir été assez prisée dans le milieu grécophone, sur des épitaphes d’époque impériale. En voici au moins trois exemples, où elle est transcrite en caractères latins : ₋ une épitaphe latine de Rome, avec la formule Cyria chere insérée entre D(is) M(anibus) et le reste de l’épitaphe (Pisidiae | Speni q(uae) vix(it) | m(enses) VII, d(ies) XXVIIII,| Iulius Niceti|cus alumnae | dulcissimae | fecit)4. ₋ une épitaphe bilingue de Ravenne (où la partie en grec est transcrite en caractères latins), avec la formule Cyria chaere Iuliane5 intercalée entre la formule latine (Have Eugami dulcissima infa(n)s) et le reste de l’épitaphe (Sosiae Iulianae iliae dulcis|simae quae vix(it) ann(os) IIX, m(enses) IIII, d(ies) XXVII, etc.) ; ₋ un sarcophage, avec le portrait de la défunte entre les deux mots de la formule Cyria habe (= ave)6. Il s’agit donc d’une acclamation grecque, κυρία χαῖρε, déjà commentée par le passé, impliquant le terme de politesse κυρία (= lat. domina)7. Cete formule laudative et de salut est présente sur plusieurs épitaphes grecques8 ainsi que sur des objets précieux inscrits (gemmes, bagues)9, de la même façon que la formule latine équivalente, Domina ave/Ave domina, se rencontre aussi bien sur des épitaphes10 que sur des objets oferts en cadeau11. Cet usage éclaircit l’utilisation de la pièce d’Ilişua et la compréhension de son inscription grecque, puisqu’il s’agit de toute évidence d’un cadeau ofert à une femme ‒ ou d’un objet qui avait été réalisé en ce but. L’iconographie a permis, à son tour, d’identiier la fonctionnalité de l’objet. Les deux oiseaux disposés face à face reproduisent en efet un modèle iconographique présent sur des objets féminins, tels les miroirs, avec deux volatiles que les commentateurs identiient à tour de rôle comme des colombes ou des faisans. Or, la pièce d’Ilişua est sans aucun doute un disque qui servait de couvercle de fermeture postérieure d’un miroir à monture en métal, celui qui ixait la surface réléchissante12. La plupart de ces miroirs, SEG IV 61 + XLIX 1274 (Ier-IIe s. ap. J.-C.). CIL VIII 9020/9021 = ILS 4456/4457. CIL VI 24216 = IGVR II 893. 5 ILS 9442 = IGrRavenna 8 = GVI 1951. C’est « une formule simple et complète de salut funèbre à la jeune défunte » (J. et L. Robert, BÉ, 1953, 267). 6 Photo EDCS 00245. 7 Cf. L. Robert, « Les inscriptions grecques et latines de Sardes », RA, 7 (1), 1936, pp. 234-238 (= OMS, III, pp. 1607-1611, avec de très nombreux exemples) ; J. et L. Robert, BÉ, 1953, 267 ; L. Moreti, IGVR, II.1, 1972, p. 216, et II.2, 1973, p. 341 ; L. Robert, OMS, V, p. 329 et n. 403. 8 Κυρία χαῖρε à Chéronée, en Béotie (AD, 2, 1916, p. 256, n° 1) ; χαῖρε Κυρία à Corinthe (Corinth VIII.1 136, épitaphe tardive) ; κύρι χαῖ|ρε,| κυρία χαῖρε à Portus, le porte de Rome (IGrPorto 54). À Rome, une épitaphe bilingue met en scène un dialogue entre l’épouse défunte et le mari : χαῖρε Ἐλπιδία,| χαῖρε κύριε.| D(is) M(anibus).| Faeniae Elpidiae | dominae meae feci | T. Iunius Syriar|cha (IGVR II 501). 9 Pour χαῖρε sur des gemmes et des bagues, voir E. Le Blant, 750 inscriptions de pierres gravées inédites ou peu connues, Paris, 1896, nos 11-19 ; dans ce précieux recueil, on trouve plusieurs exemples de κυρία χαῖρε/χαῖρε κυρία gravés sur des gemmes (nos 15-19), ce qui conirme la circulation de la formule. 10 Ainsi, ISM V 34 et 35 (Capidava, Mésie Inférieure) ; CIL VI 29026 et IMusCapitolini 95 (Rome). 11 Aux exemples du recueil d’Edmond le Blant, il faut ajouter : Domn|a ave.| Memi|ni tui (gemme de Augusta Treverorum, Gallia Belgica, CIL XIII 10024,60, avec une autre formule, « je me souviens de toi ») ; Ave | do|mi|na (brique estampillée de Bovium, Bretagne, RIB II.5 2489,6) ; Ave domina,| sitio (« Bonjour madame, j’ai soif », peson de Augustodunum, Gallia Lugdunensis, ILTG 524). Enin, Ave domina,| lumen meum (fusaïole dans une tombe de Viminacium, Mésie Supérieure, IMS II 224), le message étant interprété comme chrétien, mais l’équivalent grec existait déjà (φῶς μου). 12 Miroirs en verre doublés d’une pellicule de plomb ; parfois, la face extérieure était recouverte d’une mince feuille d’étain ou d’argent poli. Cete partie convexe de la calote de verre (de forme polygonale, dans laquelle on faisait couler du plomb en fusion), doublée de plomb, était enchâssée à l’intérieur d’un cadre (en bois, plomb, etc.), ces montures étant pourvues 2 3 4 114 très répandus à l’époque impériale, sont en plomb, d’autres en bronze et en argent. Le type le plus répandu est celui du petit miroir à monture et manche en plomb, avec plus de 2.000 exemplaires publiés à ce jour (mais sans doute plus, cf. la note 21), tandis que de nombreux autres sont signalés dans le commerce d’antiquités. Seule une minorité de ces miroirs de plomb portent une ou deux inscriptions (à l’avers et/ou au dos), aussi bien en grec qu’en latin. Ces brefs textes, que plusieurs publications récentes ont permis de les identiier plus clairement13, ofrent parfois la signature de l’artisan ou du propriétaire de l’atelier, des fois des dédicaces et, dans la plupart des cas, des vœux avec des formules standardisées et certaines variantes plus rares (voir infra). La pièce découverte à Ilişua est par conséquent un disque qui représente l’élément central postérieur d’un miroir de petites dimensions et qui refermait le verre dans un cadre perdu (circulaire ou bien avec des marges rectangulaires à l’extérieur). L’iconographie et l’inscription, de surcroît en grec, augmentent l’intérêt de cete trouvaille. Il est frappant de constater qu’on rencontre précisément le même schéma iconographique et la même disposition (deux oiseaux dans le registre supérieur, ilet de séparation, champ épigraphique) sur deux miroirs à monture en plomb avec inscription grecque découverts sur la ligne du Bas Danube : 1. Un miroir complet, provenant le plus probablement de Sucidava14, ville de la Dacie Inférieure d’où provient environ une centaine de miroirs, ce qui est considérable par rapport à d’autres sites de l’Empire. Le miroir mesure, avec le manche, 12,8 cm, tandis que le diamètre du cadre est de 6,6 cm ; le vide réservé au verre, parfaitement rond, mesure 3,8 cm ; épaisseur 0,2 cm (ig. 6, 7, 8). Au revers, le cercle du miroir présentait autour du verre un simple cadre dans lequel se ixait le disque de fermeture postérieure, conservé à son tour (diamètre 4,3 cm) ; ce couvercle qui enfermait le verre se soudait à son cadre par trois grifes de plomb, dont les traces sont encore visibles. Si la face adhérente au verre est unie, la face opposée (ig. 8) est encadrée d’un simple ilet, avec une surface ornementée divisée en deux par une ligne en relief : en haut, deux faisans ou colombes entourant un canthare d’où émerge une plante ; de petites perles sont symétriquement disposés dans ce cadre iguratif et en-dessous du ilet médian. À l’avers, le cadre du miroir, décoré, entre autres, d’un paon, porte l’inscription Κυρίᾳ | καλ|ῇ, « à la belle dame », formule qu’on trouve également sur des gemmes, comme une gemme de jaspe de Romula15 (. Au dos, au-dessus d’une d’un manche ou d’un anneau de suspension. Voir brièvement G. Sennequier, « Miroirs métalliques et miroirs en verre à l’époque romaine », dans le catalogue de l’exposition Miroirs. Jeux et relets depuis l’Antiquité, Paris, 2000, pp. 54-55. Le n° 68 du catalogue (p. 91), un miroir à manche de Trapézonte (disque de verre convexe dans une monture en plomb), a un cadre circulaire décoré de feuilles et de baies dans lequel sont disposés des oiseaux. 13 Voir, parmi les nombreuses publications de G. Barata : « La bella e lo specchio : alcune iscrizioni greche su specchieti in piombo », dans A. Martínez Fernández (éd.), Estudios de epigraia griega, La Laguna, 2009, pp. 427-454 (et M. Sève, BÉ, 2010, 66) ; « Firme di artisti/produtori di specchieti in piombo con supericie riletente in vetro », ACD, 46, 2010, pp. 91-100 ; « Ars plumbaria Sardiniae ? Gli specchieti in piombo del Museo Archeologico G. A. Sanna di Sassari : appunti preliminari per un catalogo generale », dans M. Milanese et alii, L’Africa Romana. I luoghi e le forme dei mestieri e della produzione nelle province africane. Ati del XVIII convegno di studio. Olbia, 11-14 dicembre 2008, Rome, 2010, pp. 11511168 ; « Il piombo e la magia : il rapporto tra l’oggeto e il materiale. A proposito degli specchi plumbei », dans M. Piranomonte, F. Marcos Simón (éds.), Contesti magici/contextos mágicos, Rome, 2012, pp. 23-27 ; « Ars plumbaria Sardiniae ? II. Gli specchieti de Cagliaritano », dans M. B. Cocco et alii, L’Africa Romana. Trasformazione dei paesaggi del potere nell’Africa setentrionale ino alla ine del mondo antico. Ati del XIX convegno di studio. Sassari, 16-19 dicembre 2010, Rome, 2012, pp. 1985-1992 ; « Note su un singolare instrumentum inscriptum : gli specchieti votivi in piombo », G. Barata, S. M. Marengo (éds.), Instrumenta Inscripta III. Manufati iscriti e vita dei santuari in età romana, Macerata, 2012, pp. 265-287 ; « Gli specchieti votivi in piombo dedicati alla κυρίᾳ ἀγορᾶς », dans A. Martínez Fernández et alii, Àgalma. Ofrenda desde la Filología Clásica a Manuel García Teijeiro, Valladolid, 2014, pp. 709-713 (avec une interprétation discutable) ; « Gli specchieti plumbei delle Isole Baleari », dans A. Martínez Ortega, G. Graziani Echavarri (éds.), VI Jornades d’Arqueologia de les Illes Balears (26, 27 i 28 de setembre, 2014), Formentera, 2015, pp. 265-272. 14 Cete pièce qui avait appartenu à la collection du major Papazoglu a été publiée et commentée à plusieurs reprises ; voir, entre autres, D. Tudor, « Miroirs byzantins de verre doublé de plomb trouvés en Roumanie », Dacia, 11-12, 1946-1947, pp. 247-249, n° 6 (ig. 6-7) ; Idem, Sucidava. Une cité daco-romaine et byzantine en Dacie, Bruxelles-Berchem, 1965 (Latomus 80), p. 48 (dessin p. 49, ig. 7.1) (et p. 50 pour les diférents types de miroir) ; I. Tard. Roum. 305 ; SEG XL 608 ; CIGD 123 ; G. Baratta, La bella e lo specchio… [n. 13], p. 441-443, n° 9 (et dessin). Ce miroir est daté à l’époque proto-byzantine par la plupart des historiens (IVe-VIe s. selon E. Popescu, I. Tard. Roum., pp. 312-313, qui donne une lecture chrétienne de l’iconographie) mais, au regard des parallèles, il s’avère être à son tour d’époque impériale. 15 IDR II 484 = CIGD 78 : Κυρίᾳ | καλῇ. 115 feuille de palmier, se trouve une autre inscription, toujours en relief : τῇ καλ’ ἐ|πὶ καλῷ16, « à la belle, pour sa beauté ». Ce miroir est très probablement issu d’une production locale, selon D. Tudor17. 2. Le second exemple, révélé par une découverte fortuite de Noviodunum (Isaccea), en Mésie Inférieure, et qui est conservé dans une collection privée, est un disque de fermeture postérieure d’un miroir en plomb (diam. 4,5 cm). Au-dessus du ilet médian, deux faisans (plutôt que deux colombes) sont disposés à droite et à gauche d’une feuille de palmier ; au-dessus se trouve une inscription en relief, assez maladroitement réalisée (dont la letre N rétrograde) : τῇ κυρίᾳ | [τ]ὸ δῶρο|ν, « pour la dame, en cadeau »18 (ig. 9). D’autres inscriptions grecques sur miroir sont connues depuis longtemps ou publiées ces dernières années, la plupart étant retrouvées en Thrace19, en Mésie Inférieure (notamment dans la région d’Odessos)20, en Pannonie21 et au Nord de la mer Noire22. Voici les formules les plus fréquentes ou les plus remarquables : ψυχῇ καλῇ (« à la belle âme ») ; τῆς καλῆς τὰ καλὰ πάντα (« tout est beau chez la belle ») ; τῇ καλῇ τὸ δῶρον (« pour la belle, en cadeau ») ; τῇ καλῇ τὰ κάλιστα (« à la belle, les plus belles choses ») ; τῆς φιλάνδρου πάντα (« tu as tout, aimée de ton mari ») ; Κυρία, ἀγόρασόν με δηναρίου (« madame, achète-moi pour un denier ») ; σὺ καλή, λάβε με· χάριν (« toi, ma belle, prends-moi ; grâce ») ; ἡ χάρις εἰμί (« je suis la grâce ») ; Ἀγαθῇ τύχῃ (« à la bonne fortune »). Le disque de miroir d’Ilişua apporte, nota bene, une formule nouvelle parmi celles qui apparaissent sur miroir, Κυρεία, χρε (= Κυρία, χαῖρε) ; pourtant, elle s’inscrit bien, par le choix d’un terme de politesse et de révérence, dans la série de textes galants ou amoureux apposés aux miroirs, gemmes et autres objets à ofrir23. On ignore si une autre inscription était présente à l’avers, car le cadre de métal et le manche sont perdus. L’iconographie, qui dérive d’un modèle qu’on retrouve, avec quelques variations, sur les disques de miroir de Sucidava et Noviodunum, fait appel au motif des oiseaux (colombes, faisans, paons), symbole de la coqueterie et de la grâce. La colombe et le miroir sont par ailleurs des atributs bien connus d’Aphrodite/Vénus. Si l’on prend en compte l’endroit où le disque a été découvert, à savoir une pièce du praetorium, on peut raisonnablement penser que le miroir avait appartenu à l’épouse d’un gradé de l’ala I Tungrorum Frontoniana, voire même à l’épouse d’un commandant de l’aile. Que ce dernier ait été originaire de l’Orient grec ou d’une autre partie de l’Empire, il est permis d’airmer qu’il se montra soucieux d’ofrir à sa compagne un objet enviable, dont l’inscription grecque relétait soit une origine hellénophone (voire un objet voyageant avec les personnes concernées), soit le désir de distinction. On tient donc un nouveau témoignage de la présence des civils dans les camps, plus précisément des familles des soldats et des oiciers24. Plusieurs montures en plomb ainsi que des plaques d’argent de miroirs ont été trouvées par ailleurs à Ilişua25 (cf. ig. 10). 16 Pour la lecture correcte, voir Ju. G. Vinogradov, BÉ, 1990, 506 ; P. Weiss, « Einige beschriftete Kleinobjekte », ZPE, 91, 1992, p. 200 ; G. Barata, La bella e lo specchio… [n. 13], p. 429. 17 L’existence d’une ou plusieurs oicina(e) plumbaria(e) à Sucidava est prouvée par deux signatures sur des miroirs, F[o] 18 19 20 21 22 23 24 rmam Brutus [f]ec(it) et Forma(m) Lollianus fecit (IDR II 230 et 229). Pour les centres de production dans la province, voir D. Benea, « Oicinae plumbariae in der Provinz Dakien », dans S. Nemeti et alii, Dacia Felix. Studia Michaeli Bărbulescu oblata, Cluj, 2007, pp. 537-553, qui cite la bibliographie antérieure. Une autre inscription grecque est présente sur le disque de fermeture postérieure d’un miroir trouvé à Gîrla Mare, mais le dessin ne permet pas d’aller plus loin (I. Stângă, Villa rustica de la Gârla Mare, judeţul Mehedinţi. Studiu monograic, Craiova, 2005, Pl. XLIII). S. Schulz, « Streufunde aus Isaccea (Noviodunum) », Pontica, 11, 1978, p. 103, n° 16 (Pl. 3 a) ; Ju. G. Vinogradov, BÉ, 1990, 506 ; SEG XL 592 ; G. Barata, La bella e lo specchio… [n. 13], pp. 438-439, n° 6 (et photo). Voir, à titre d’exemple, I. Vojkov, « Tri olovni ogledalca ot Arsus », Numismatica, Epigraphica et Sphragistica, 5, 2009, pp. 315-320 (et Pl. XXXIV). Hr. Kuzov, « Lead Roman Mirrors in Varna Archaeological Museum », ArchBulg, 6 (3), 2002, pp. 63-99 (= SEG LII 718, 719, 726). Gy. Németh, Á. Szabó, « To a Beautiful Soul. Inscriptions on Lead Mirrors (Collection of Roman Antiquities, Hungarian National Museum) », ACD, 46, 2010, pp. 101-113 ; en dernier lieu, voir A. Bózsa, Á. Szabó, « Ajándék a szépnek ! ». A Magyar Nemzeti Múzeum Római Gyűjteményének “ólomtükrei” [« Cadeau pour la belle ! ». “Miroirs de plomb” de la collection romaine du Musée National Hongrois], Budapest, 2013 (Libelli Archaeologici Seria Nova Suppl. 1), avec un catalogue de 721 exemplaires, dont 689 provenant du traic d’antiquités ; seulement 11 miroirs sont inscrits. Ju. G. Vinogradov, BÉ, 1990, 505-506 ; SEG XL 619 et 621. Voir G. Bevilacqua, « Osservazioni su alcune formule afetuose e galanti di età imperiale », Miscellanea Greca e Romana, 16, 1991, pp. 225-237 Voir D. Petruţ, « Everyday Life in Military Context. Aspects of Everyday Life in the Research Concerning the Roman Army in the Western European Part of the Empire and the Province of Dacia », EphNap, 22, 2012, pp. 91-112, en partic. 107, citant la conclusion de L. Vass (« Women in a Man’s World ? Female Related Artefacts from the Camps of Dacia », 116 2. Instrumentum inscriptum à Ilişua25 Le camp auxiliaire d’Ilişua – dont le nom ancien était Arcobara26 –, qui était occupé depuis le règne d’Hadrien par l’ala I Tungrorum Frontoniana27, a livré une moisson épigraphique considérable28, aussi bien sur pierre que dans la catégorie de l’instrumentum inscriptum. Parmi les objets appartenant à cete dernière catégorie, nous pouvons citer à Ilişua plusieurs exemples, principalement des nouveautés : ₋ un poids en plomb inscrit en grec (voir infra) ; ₋ un graite grec sur vase (voir infra) ; ₋ un graite latin, en letres cursives, sur un vase à boire, portant la marque de propriété Prisci dupl(icarii)29 ; ₋ une tessera militaris avec le nom d’un décurion et d’un cavalier de l’aile : Ṭ(urma) Ian(u)ari, Marceḷ ḷ ị ++30 ; ₋ plusieurs groupes de letres de métal provenant d’inscriptions monumentales ixées sur les bâtiments des principia31 ; ₋ trois autres pièces restent inédites32. 3. Les hellénophones à Ilişua et en Dacie romaine On a depuis longtemps remarqué que des groupes signiicatifs d’hellénophones d’Asie Mineure ou plus généralement de l’Orient grec se sont établis en Dacie romaine, principalement des artisans et divers autres spécialistes ainsi que des négociants ‒ sans que les militaires hellénophones soient absents33. Or, les inscriptions 25 26 27 28 29 30 31 32 33 Marisia, 30, 2010, pp. 127-152), qui a montré que « the concentration of female related artefacts mainly in the barracks and the buildings considered to be oicers’ residence is indicative of constant female presence in the forts of Dacia ». Quelques titres sur la question : M. M. Roxan, « Women on the Frontiers », dans V. A. Maxield, M. J. Dobson (éds.), Proceedings of the XVth International Conference of Roman Frontier Studies 1989, Exeter, 1991, pp. 462-467 ; P. M. Allison, « The Women and Children inside 1st- and 2nd-Century Forts : Comparing the Archaeological Evidence », dans U. Brandl (éd.), Frauen und römisches Militär. Beiträge eines Runden Tisches in Xanten vom 7. bis 9. Juli 2005, Oxford, 2008 (BAR IS 1759), pp. 120-139 ; Eadem, « Soldiers’ Families in the Early Roman Empire », dans B. Rawson (éd.), A Companion to the Families in the Greek and Roman Worlds, Malden (MA), 2011, pp. 161-182 ; E. M. Greene, « Female Networks in Military Communities in the Roman West : A View from the Vindolanda Tablets », dans E. Himelrijk, G. Woolf (éds.), Women and the Roman City in the Latin West, Leyde, 2013, pp. 369-390. Je remercie pour cete information Corneliu Gaiu. Voir S. Nemeti, M. Bărbulescu, « Territorium Arcobadarense », EphNap, 16-17, 2006-2007, pp. 107-118 (= AÉ, 2006, 1130) ; I. Piso, « Note sur le territorium Arcobadarense », AMN, 43-44, 2006-2007, pp. 163-166 (= AÉ, 2007, 1190) ; S. Nemeti, M. Bărbulescu, « Arcobadara », Latomus, 69, 2010, pp. 436-446 ; D. Dana, S. Nemeti, « Ptolémée et la toponymie de la Dacie (I. *Arcobara) », Classica et Christiana, 7, 2012, pp. 431-437 (avec la forme vraisemblable du nom) ; en dernier lieu, S. Nem meti, Finding Arcobadara. Essay on the Geography and Administration of Roman Dacia, Cluj, 2015. Pour le site, voir D. Protase, C. Gaiu, G. Marinescu, Castrul roman și așezarea civilă de la Ilișua, Bistriţa, 1997 ; C. Gaiu, R. Zăgreanu, Inscripții și piese sculpturale din castrul roman de la Ilișua, Cluj, 2011. Voir, entre autres, D. Protase, « Neue Daten über die Ala I Tungrorum Frontoniana in Dakien », dans E. Weber, G. Dobesch (éds.), Römische Geschichte, Altertumskunde und Epigraphik. Festschrift für Arthur Bez zur Vollendung seines 80. Lebensjahres, Vienne, 1985, pp. 495-504 ; C. C. Petolescu, Auxilia Daciae. Contribuţie la istoria militară a Daciei romane, Bucarest, 2002, pp. 78-80. CIL III 786-820, 1633, 7629, 8074 ; ILD 796-803 ; pour un catalogue épigraphique récent, voir S. Nemeti, « Society and Relicgion in Ilişua », Classica et Christiana, 5, 2010, pp. 395-433 ; toutes ces inscriptions seront bientôt republiées par Ioan Piso (IDR IV). D. Dana, C. Gaiu, R. Zăgreanu, « Un nou duplicarius din ala I Tungrorum Frontoniana atestat pe un vas descoperit în castrul roman de la Arcobara/Ilişua », Revista Bistriţei, 26, 2012, pp. 49-56 (= AÉ, 2012, 1201) ; CronEpigrRom, XXXII (2012), 1582 [C. C. Petolescu transcrit erronément Priscus dupl(icarius)]. D. Dana, C. Gaiu, « Alte noutăţi epigraice de la Ilişua : o tessera militaris şi litere de metal descoperite în castrul auxiliar », Revista Bistriţei, 28, 2014, pp. 155-157, n° 1 ; Iidem, « Quatre diplômes militaires du milieu du IIe siècle pour l’exercitus Daciae Porolissensis trouvés à Arcobara/Ilişua (réédition) », ZPE, 197, 2016, pp. 266-267. D. Dana, C. Gaiu, Alte noutăţi epigraice de la Ilişua... [n. 30], pp. 157-159, n° 2. Inscription fragmentaire sur une tablete de bronze (qui sera publiée par Carmen Ciongradi) ; un objet non identiié, avec l’estampille TERMINALIS ; une bague en argent, avec deux lignes inscrites (découverte dans la campagne de 2014, dans le niveau d’une baraque de la retentura sinistra). La plupart de ces communautés sont originaires notamment des conins des provinces Pont-Bithynie, Asie et Galatie. Voir, entre autres, C. Opreanu, « Colonisation et acculturation en Dacie. Les mécanismes de l’intégration dans le monde romain », dans C. Roman et alii, Orbis antiquus. Studia in honorem Ioannis Pisonis, Cluj, 2004, pp. 651-661. 117 grecques d’Ilişua apportent d’autres témoignages sur la présence de soldats originaires des provinces hellénophones. On dispose en efet à Ilişua d’un petit dossier d’inscriptions en grec, ce qui en fait l’un des sites les mieux fournis après les centres urbains majeurs, avec leur population cosmopolite (Apulum, Sarmizegetusa), et mineurs (comme Sucidava, près de la Mésie Inférieure) : En premier lieu, deux dédicaces sur pierre : (1) un autel fragmentaire (71 x 39,5 cm), trouvé en 1862 dans le camp auxiliaire, près de l’une des tours septentrionales : Ἀσκληπι(ῷ) | καὶ Ὑγείᾳ | Κόϊντος | [---]34. Porteur d’un idionyme latin, l’hellénophone Quintus était sans doute en service dans l’aile d’Ilişua. (2) Un relief votif honorant vraisemblablement Asclépios, Hygie et Apollon (d’après l’iconographie), en tant que dieux qui écoutent les prières, provenait peut-être du même endroit réservé aux dieux de la santé, quelque part dans le secteur des thermes d’Ilişua (avant d’être remployé vers le milieu du IIIe s. ain de renforcer la défense du camp). Il porte une inscription sur trois lignes : ΖΑΝ̣ ΑΡ̣ ΙΝΙ̣ ΘΗϹ | εὐχὴν θεοῖς | ἐ̣π̣η̣κ̣(ό)οις35. En plus de ces dédicaces36 qui semblent appartenir au même ensemble cultuel, d’autres inscriptions en grec sont connues à Ilişua : ₋ le graite [---]ετίων incisé sur un vase découvert en 187537 ; ₋ une trouvaille récente, à savoir un poids rectangulaire opisthographe, en plomb, avec la mention « trois onces vériiées » : (A) τριο|ύ(ν)κιον ; (B) τριούν|κι(ο)ν δί|καιον38. Cete dernière pièce provenait de l’Orient grec. On tient là des indices précieux sur la présence de militaires originaires de l’Orient hellénophone39, recrutés comme auxiliaires et envoyés dans la province latinophone de Dacie. Tel est le cas d’un militaire de l’espace syrien, dans une épitaphe familiale d’Ilişua (CIL III 804) : Aurel. Themaes, librar(ius) al(a)e Fronto(nianae), mort à 50 ans ; sa femme Aelia Iulia ; leur ille Aelia Pupula, décédée à seulement 2 ans ; c’est le ils de ce scribe comptable de l’unité, Aurel[i]us Thementianus, porteur d’un cognomen dérivé du patronyme palmyrénien40, qui s’est chargé d’ériger l’épitaphe. Dans la proximité, à Căşeiu (Samum ?), important site militaire, on reconnaît un Micrasiate dans la personne d’un autre militaire, Aur(elius) Cotes, eq(ues) al(ae) Fl(aviae)41. Ailleurs en Dacie, on peut citer les bénéiciaires de plusieurs diplômes militaires, la plupart récemment publiés42, et des soldats nommés sur des 34 Cet autel, malheureusement perdu, était décoré d’étoiles, d’un bucrane et d’un vase à deux anses ; un serpent, emblème 35 36 37 38 39 40 41 42 des deux divinités, était iguré au-dessus de l’inscription. Voir K. Torma, « Az Alsó-Ilosvai római állótábor s műemlékei », Erdélyi Múzeum Évkönyve, 3, 1864, pp. 39-40, n° 9 ; ad CIL III 786 ; IGR I 537 ; CIGD 55 ; S. Nemeti, Society and Religion in Ilişua [n. 28], p. 407, n° 2 ; C. Gaiu, R. Zăgreanu, Inscripţii şi piese sculpturale... [n. 26], p. 75, n° I.2.13. Voir, en dernier lieu, D. Dana, « «Orientaux» en Dacie romaine. Réédition d’une dédicace grecque d’Arcobara/Ilişua (SEG LVII 683 = AÉ, 2006, 1131) », Classica et Christiana, 9, 2014, pp. 85-95. S. Nemeti, Society and Religion in Ilişua [n. 28], 408-407, nos 1-2. ΤΙΝ, à lire plutôt [---]ετίων (K. Torma, « Neue Inschriften aus Dacien », AEM, 3, 1879, p. 120, n° 8 ; CIL III 8077,13 = CIGD 56). L. Ruscu, « Ein Gewicht aus dem Römerkastell von Ilişua (Kreis Bistriţa-Năsăud) », EphNap, 20, 2010, pp. 205-210 (= AÉ, 2010, 1363 = SEG LX 792). Pour les hellénophones à Ilişua, voir S. Nemeti, Society and Religion in Ilișua [n. 28], p. 403 (plusieurs noms grecs : Amarrantus, Ammia, Castor, Fronime, Hediste) ; R. Ardevan, « Die kulturelle Entwicklung in zwei Militärsiedlungen Norddaekiens, Gherla und Ilişua : ein vergleichender Überblick », dans D. Boteva-Boyanova, L. Mihăilescu-Bîrliba, O. Bounegru (éds.), Pax Romana : Kulturaustausch und Wirtschaftsbeziehungen in den Donauprovinzen des römischen Kaiserreichs. Akten der Tagung in Varna und Tulcea, 1.-7. September 2008, Kaiserslautern, 2012, pp. 23-32, en partic. 26 et n. 46. Voir, en dernier lieu, G. F. Grassi, Semitic Onomastics from Dura Europos. The Names in Greek Script and from Latin Epigraphs, Padoue, 2012, pp. 202-204 (et n. 40). AÉ, 1957, 331 = ILD 783 ; probablement de l’ala Flavia Augusta Britannica mill. c. R., d’après la lecture décisive de I. Piso, « L’ala Flavia en Dacie », AMN, 36, 1999, pp. 86-89 (= AÉ, 1999, 1285). Il est généralement considéré d’origine thrace (ainsi D. Tudor, I. I. Russu, A. Paki, I. Piso) ; et pourtant, son nom n’est pas une variante du fréquent Cotus/Κοτυς, mais la transcription latine atendue du nom Κοτης, épichorique en Asie Mineure méridionale (cf. L. Zgusta, Kleinasiatische Personennamen, Prague, 1964, pp. 249-250, § 707-3 ; LGPN V.B 244). M. Herennius M. f. Polymita, de Béroia de Syrie (RMD III 148, 14 oct. 109, Dacie, coh. I Montanorum) ; Zacca Pallaei f., Syrus (RGZM 22, 14 avr. 123, Dacie Sup., coh. II Flavia Commagenorum) ; [--- --- f.], Syrus (ZPE, 187, 2013, pp. 286-290 + ZPE, 195, 2015, pp. 231-238, 16 juin 123, Dacie Inf., coh. II [---]um) ; Eupator Eumeni f., de Sébastopolis du Pont (CIL XVI 75, 22 mars 129, Dacie Inf., vexilatio equitum Illyricorum) ; [---] Asclepiadis f., origo inconnue (RMD V 374, ca. 119/129, 118 épitaphes43 ; des noms épichoriques d’Asie Mineure septentrionale ou de Syrie ainsi que l’origo, le cas échéant, nous indiquent des soldats envoyés en Dacie. Je reprends les conclusions d’un article où j’ai réédité une dédicace grecque d’Ilişua44 : « Quelques dizaines d’inscriptions en grec sont connues en Dacie romaine, mais les hellénophones étaient beaucoup plus nombreux que ne veulent les statistiques des historiens modernes45, dans une province qui, malgré son caractère latinophone prononcé, constitue un cas étonnant de mélange ethno-culturel46, à une échelle inconnue dans le reste de l’Empire. Le dédicant, dont le nom reste encore énigmatique, même s’il faisait sans doute partie du personnel militaire de l’ala I Tungrorum Frontoniana, est un autre exemple de l’emboîtement d’identités culturelles à l’œuvre dans l’Empire Romain, en premier lieu dans ce creuset qu’était l’armée romaine ». Il ne faut pas oublier non plus les objets qui circulent, et dont la valeur augmentait. Tel devait être le cas du strigile découvert dans une baraque du camp auxiliaire de Buciumi (toujours en Dacie Porolissensis), portant la signature d’un artisan de Tarse : Θεόδωρος Ταρσεὺς ἐποίει47. Il est intéressant de noter un strigile découvert à Vajta, en Pannonie Inférieure, avec la signature d’un artisan de la même ville : Ῥοῦφος Ταρσεὺς | ἐποίει (CIGP 107). Le disque de métal, élément central d’un petit miroir en verre avec monture en plomb, dans lequel s’était relété le visage de l’épouse d’un oicier de l’ala I Tungrorum Frontoniana, apporte la cinquième inscription grecque livrée par le camp auxiliaire d’Ilişua. Datant du IIe s. de notre ère, ce miroir relète également la perméabilité des messages inscrits sur des présents, en contexte grec ou latin : κυρία χαῖρε – domina ave. „Doamna mea, salutare!” pe capacul unei oglinzi: o nouă inscripţie în greacă pe instrumentum de la Ilişua (Rezumat) Este publicat aici un capac de oglindă descoperit într-una din clădirile praetorium-ului castrului auxiliar de la Arcobara/Ilişua (jud. Bistriţa-Năsăud). Discul de bronz, pe care sînt iguraţi în partea de sus doi porumbei, are gravate în partea inferioară două linii în greacă, în care recunoaştem o scurtă formulă, echivalent perfect al celei latineşti Ave domina. Deşi formula este nouă în tipologia inscripţiilor care însoţesc uneori oglinzile de metal de epocă romană, piesa se înscrie bine, inclusiv din punct de vedere iconograic, în seria acestor obiecte care puteau circula. Oglinda din care doar acest element a fost descoperit aparţinuse soţiei unui oiţer în serviciu în ala I Tungrorum Frontoniana; alegerea acestui obiect inscripţionat în greacă se explică ie prin apartenenţa la un mediu elenofon, ie prin dorinţa de a se distinge. Bogatul sit militar de la Ilişua oferă astfel a cincea inscripţie în greacă, pe instrumentum, relectînd diversitatea lumii romane. 43 44 45 46 47 Dacie Inf., coh. I mill. Britonum Augusta Nervia Pacensis) ; Barsimsus Callistenis f., de Césarée Maritime/de Palestine (CIL XVI 107, 13 déc. 157, Dacie Sup., coh. I Vindelicorum mill.) ; anonyme de Chalcis de Syrie (RMD II 122, ca. 144/178, Dacie Sup., coh. I Vindelicorum mill.) ; Industis Selinis f(ilius), Lamot(e) ex Cil(icia) (AÉ, 2012, 1945, 25 avril 142, Dacie Sup., coh. I Thracum sagitariorum). J’ai laissé de côté les diplômes pour les Palmyréniens. Une épitaphe d’Apulum (IDR III.5 615), pour Zenon Tarasi (f.), miles n(umeri) Germ(anicianorum), dont le patronyme indigène apparaît en Cilicie (LGPN V.B 400) et en Lycaonie ; une épitaphe de Napoca, mentionnant le centurion Aurelius M[a]nes (nom phrygien) et le vex(illarius) Aurelius Musaeus (nom grec mythologique), tous deux ils d’Aurel. M[axi]mus, ve[t(eranus) ex] dec(urione) (de l’ala Siliana ?) (I. Piso, « Une inscription funéraire des environs de Napoca », Tibiscum, NS, 3, 2013, pp. 33-35). D. Dana, « Orientaux » en Dacie romaine... [n. 35], pp. 93-94. Pour les aspects onomastiques, voir L. Ruscu, « Die griechischen Namen in der Provinz Dakien », AMN, 35, 1998, pp. 147186 ; M. Dragostin, « L’onomastique grecque dans la Dacie romaine », SCIVA, 64 (1-2), 2013, pp. 67-120. Sur la situation dans une province voisine, voir P. Kovács, « Greek Inscriptions in Pannonia », dans XII Congressus Internationalis Epigrav phiae Graecae et Latinae : provinciae imperii Romani inscriptionibus descriptae. Barcelona, 3-8 Septembris 2002. Acta, I, Barcelone, 2007, pp. 785-792. Pour le mélange démographique en Dacie romaine, voir L. Mihăilescu-Bîrliba, Ex toto orbe Romano : Immigration into Roman Dacia. With Prosopographical Observations on the Population of Dacia, Louvain-Paris-Walpole (MA), 2011 (Colloquia Antiqua 5). N. Gudea, V. Lucăcel, Das Römerlager von Buciumi. Beiträge zur Untersuchung des Limes der Dacia Porolissensis, Cluj, 1972, pp. 82-83, n° 1 (dessin Pl. CXIII.1) ; J. et L. Robert, BÉ, 1976, 494 ; CIGD 39 = ILD 648). « Tarse était donc spécialiste des strigiles », notaient J. et L. Robert, BÉ, 1980, 336. Un deuxième strigile du même artisan fut découvert en Mysie, près d’Adramytion (dans un collection, cf. C. Schuchhardt, AM, 24, 1899, p. 201, n° 1) : Θεόδωρος Ταρσεὺς ἐπο[ίει] ; et un troisième à Trento : Θεόδωρος Ταρσεὺς ἐποίει (A. Buonopane, « L’iscrizione sullo strigile », dans C. Bassi, A. Buonopane, « Un deposito di bronzi dallo scavo archeologico di un ediicio di età romana a Trento, via Zanella », dans Tra protostoria e storia. Studi in onore di Loredana Capuis, Rome, 2011 (Antenor Quaderni 20), pp. 422-429). Voir, en général, A. Buonopane, « Gli strigili e le loro iscrizioni », SEBarc, 10, 2012, pp. 195-206. 119 Abréviations AÉ BÉ CIGD CIGP CIL Corinth VIII.1 Année Épigraphique (Paris). Bulletin Épigraphique de la Revue d’Études Grecques (Paris). L. Ruscu, Corpus Inscriptionum Graecarum Dacicarum, Debrecen, 2003 (Hungarian Polis Studies 10). P. Kovács, Corpus Inscriptionum Graecarum Pannonicarum, Debrecen, 2001 (Hungarian Polis Studies 8). Th. Mommsen et alii, Corpus Inscriptionum Latinarum, I-XVII (et suppléments), Berlin, 1863–. B. D. Merit, Corinth. VIII.1. Results of Excavations Conducted by the American School of Classical Studies at Athens. Greek Inscriptions 1896-1927, Cambridge (Mass.), 1931. EDCS Epigraphische Datenbank Clauss–Slaby. GVI W. Peek, Griechische Vers-Inschriften, I (Grab-Epigramme), Berlin, 1955. IDR D. M. Pippidi, I. I. Russu (éds.), Inscriptiones Daciae Romanae. Inscripțiile Daciei romane, Bucarest, 1975–. IGR R. Cagnat et alii, Inscriptiones Graecae ad Res Romanas Pertinentes, I, III-IV, Paris, 1906-1927. IGrPorto G. Sacco, Iscrizioni greche d’Italia : Porto, Rome, 1984. IGrRavenna M. Bollini, Le iscrizoni greche di Ravenna, Faenza, 1975. IGVR L. Moreti, Inscriptiones Graecae Vrbis Romae, I-IV, Rome, 1968-1990. ILD C. C. Petolescu, Inscripții latine din Dacia (ILD), Bucarest, 2005. ILS H. Dessau, Inscriptiones Latinae Selectae, I-III, Berlin, 1892-1916. ILTG P. Wuilleumier, Inscriptions latines des Trois Gaules, Paris, 1963. IMusCapitolini S. Panciera, La collezione epigraica dei Musei Capitolini. Inediti – revisioni – contributi al riordino, Rome, 1987 (Tituli 6). IMS F. Papazoglou (éd.), Inscriptions de la Mésie Supérieure, Belgrade, 1976–. ISM Inscriptiones Scythiae Minoris Graecae et Latinae. Inscripțiile din Scythia Minor grecești și latine, Bucarest, 1980–. I. Tard. Roum. E. Popescu, Inscripțiile grecești și latine din secolele IV-XIII descoperite în România, Bucarest, 1976. LGPN P. M. Fraser, E. Mathews (éds.), A Lexicon of Greek Personal Names, Oxford, 1987–. RGZM B. Pferdehirt, Römische Militärdiplome und Entlassungsurkunden in der Sammlung des Römisch-Germanischen Zentralmuseums, I-II, Mayence, 2004. RIB R. G. Collingwood, R. P. Wright (et R. S. O. Tomlin), The Roman Inscriptions of Britain, I-III, Oxford, 1965-2009. RMD M. M. Roxan (ensuite P. Holder), Roman Military Diplomas, Londres, I-V, 1978-2006. SEG Supplementum Epigraphicum Graecum, Leyde-Amsterdam, 1923‒. 120 Fig. 1. Praetorium du camp d’Ilişua et emplacement de la découverte Fig. 2. Photo avant la restauration Fig. 3. Photo du verso Fig. 4. Photo après la restauration Fig. 5. Fac-similé 121 Fig. 6. Miroir complet de Sucidava (photo) Fig. 7. Miroir complet de Sucidava (dessin) Fig. 8. Couvercle du miroir de Sucidava (détail) Fig. 9. Couvercle du miroir de Noviodunum Fig. 10. Monture de miroir d’Ilişua (dessin C. Gaiu) 122